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"Le Livre noir du communisme": mensonges capitalistes usés (Spartacist, 1998)

Spartacist-édition française, Numéro 32, Printemps 1998.

'Le Livre noir du communisme':
mensonges capitalistes usés


Pour une Quatrième Internationale reforgée!

Depuis la contre-révolution capitaliste en Union soviétique et dans les Etats ouvriers déformés d'Europe de l'Est, les bourgeoisies internationales intensifient leur campagne idéologique contre le communisme. Elles aimeraient pouvoir éradiquer de la conscience du prolétariat et des opprimés toute trace d'attachement au programme et aux idéaux du communisme. Elles veulent imposer l'idée que la société capitaliste, avec son cortège d'exploitation et de chômage, de racisme et de misère, ses guerres et la menace grandissante du fascisme, serait le seul monde possible.

Dans des pays comme la Grande-Bretagne, la France et l'Italie, les partis de "gauche" sont devenus la force motrice de la politique brutalement raciste et antiouvrière exigée par la bourgeoisie de ces pays. C'est pourquoi, alors même que le chômage et le racisme augmentent dans les pays de l'"Europe de Maastricht", alors même qu'ils démantèlent l'"Etat-Providence" et multiplient les agressions impérialistes dans les pays semi-coloniaux, les vieilles rengaines cousues de fil blanc de la propagande anticommuniste deviennent la "nouvelle" sensation dans les librairies et dans les médias. Tony Blair veut briser le lien historique entre le Parti travailliste britannique et les syndicats, d'Alema en Italie élimine définitivement la faucille et le marteau de l'emblème du PDS, et en France les sociaux-démocrates publient le Livre noir du communisme, 826 pages de mensonges et d'amalgames compilés par un groupe d'"historiens" douteux, pour justifier la répression contre les organisations et les personnes qui se réclameraient encore du communisme, et apporter leur contribution aux forces contre-révolutionnaires qui aujourd'hui veulent la peau des Etats ouvriers déformés cubain, chinois, vietnamien et nord-coréen.

Le livre, dont certains des auteurs sont des déserteurs de la gauche française (et qui prétendent toujours être "ancrés à gauche", pour aggraver un peu plus les choses), est une mixture de propagande et de mensonges qui font écho à ceux de la CIA pendant la guerre froide. C'est une liste de prétendus crimes des communistes qui met dans le même sac les morts de faim de la période de la guerre civile qui a suivi la révolution d'Octobre, les procès staliniens des années 1930, les massacres accomplis par Pol Pot au Cambodge, les victimes de Mengistu en Ethiopie dans les années 1970-1980, et même les victimes du "Front patriotique rwandais" afin de parvenir à un total fantastique qui, d'après Stéphane Courtois, le coordinateur de ce livre, "approche la barre des cent millions de morts" soi-disant causés par le communisme.

Certes, ce n'est pas nouveau que des idéologues réactionnaires s'embarquent dans des croisades anticommunistes (cf. "Leonard Schapiro, Lawyer for Counterrevolution", Spartacist édition anglaise n°43-44, été 1989). Ni que des sociaux-démocrates (et des anarchistes) se battent avec des politiciens bourgeois de droite à qui sera le plus anticommuniste (cf. "Robin Blick: Menshevik Dementia", Spartacist édition anglaise n°49-50, hiver 1993-1994). Les réformistes ont épousé le chauvinisme de leur propre bourgeoisie et c'est sur cette base qu'ils s'enrôlent dans ses campagnes antirévolutionnaires. Aujourd'hui, Robert Hue, dirigeant du PCF, se joint à la cause des sociaux-démocrates "traditionnels". Le PCF est tout aussi traître, chauvin et réformiste que le PS. Mais de la part des héritiers de ces mêmes staliniens qui ont donné une si mauvaise réputation au communisme, il faut tout de même n'avoir particulièrement pas de complexes pour se joindre avec autant de fougue au choeur de ceux qui chantent la "mort du communisme". Le lendemain de la publication du Livre noir, le 7 novembre, l'éditorialiste de l'Humanité déclarait: "la révolution russe a enfanté d'un monstre qui, au fil du temps, a englouti des millions d'hommes." Hue déclare que l'Union soviétique a un bilan qui "n'était pas globalement positif [...]. Il est négatif, monstrueux même à bien des égards" (l'Humanité, 5 décembre 1997). Quant à la soi-disant "extrême gauche", qui a fait cause commune avec tous les antisoviétiques pro-impérialistes ces vingt dernières années, elle se trouve assez désarmée face aux mensonges galvaudés du Livre noir.

Le capitalisme et les assassinats en masse

Le but du Livre noir (qui a été traduit en 13 langues) est de discréditer la révolution d'Octobre afin, espèrent-ils, de se débarrasser pour toujours du danger de nouveaux Octobre. La technique, c'est essentiellement de mettre un signe d'égalité entre communisme et fascisme. C'est le vieux cri de guerre des apologistes réactionnaires du fascisme qui cherchent ainsi non seulement à salir l'idée du communisme mais aussi à banaliser les crimes innommables et sans pareils de l'Holocauste nazi, le massacre de millions de personnes avec le plan délirant d'éliminer des peuples entiers de la surface du globe. Tout comme leurs prédécesseurs réactionnaires, Courtois et Cie font l'amalgame entre le communisme et le fascisme, mettant au pinacle la démocratie bourgeoise comme un principe qui transcende tout, et décriant le communisme et le fascisme comme des systèmes totalitaires. Le fascisme est une forme de domination capitaliste, à laquelle la bourgeoisie a recours in extremis, mettant au rancart la démocratie bourgeoise pour pouvoir maintenir sa domination de classe, comme l'a fait la bourgeoisie allemande quand elle a donné le pouvoir à Hitler en route vers la Deuxième Guerre mondiale.

Les auteurs du Livre noir prétendent que l'Allemagne nazie était le seul Etat capitaliste important qui ait commis des crimes contre l'humanité à une échelle massive au XXe siècle. Tous les Algériens et les Vietnamiens savent bien que ce n'est pas vrai! Pour essayer de noyer dans le sang la guerre d'indépendance algérienne, les impérialistes français ont assassiné un million de personnes, plus du dixième de la population totale. Cette sale guerre coloniale a été menée en grande partie sous le gouvernement du socialiste Guy Mollet. A Madagascar en 1947, les impérialistes français auraient massacré 80 000 personnes. En Indochine entre 1946 et 1954, les chiffres varient de 800 000 à 2 millions de morts (Gilles Perrault, le Monde diplomatique, décembre 1997). L'impérialisme américain, qui, dans le cadre de sa "guerre pour la démocratie" a lancé la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, tuant des centaines de milliers de civils japonais, a pris le relais de la France en Indochine, assassinant 2 millions de personnes, dont les deux tiers étaient des civils.
Les crimes indubitablement atroces de Pol Pot au Cambodge ont une dette immense envers l'impérialisme US. Les Khmers rouges avaient hérité d'un pays ravagé par plus d'un million de tonnes de bombes américaines, qui avaient tué, estime-t-on, 600 000 personnes (dans un pays de 7 millions d'habitants), détruit l'économie et le niveau culturel du pays, et gonflé la population de Phnom Penh à cinq fois ce qu'elle était avant la guerre: Le Cambodge de Pol Pot n'a jamais été un Etat ouvrier, même déformé. Lorsqu'ils ont chassé les impérialistes et leurs fantoches, le premier acte des Khmers rouges (une couche extrêmement mince de dirigeants à la tête d'une armée paysanne et qui craignait de ne rien pouvoir contrôler qui soit plus organisé qu'un village) a été de raser les villes, de détruire le minuscule prolétariat qu'il y avait et de déporter pratiquement toute la population dans ce qui était en fait des camps de travail où les conditions de survie étaient sub-minimales.
L'idéologie de Pol Pot était l'antithèse du programme du communisme selon lequel l'industrialisation et le progrès technologique sont la base matérielle d'une société socialiste dans laquelle le potentiel humain peut se développer librement et pleinement grâce à une abondance pouvant satisfaire les besoins de tous. L'idée des Khmers rouges c'était de détruire toute vie intellectuelle et urbaine et de réaliser l'"égalité" en réduisant tout le monde au niveau le plus bas. Du point de vue philosophique, ce sont les enfants de Jean-Jacques Rousseau et de son idéal de "retour à la nature", ainsi que de ses héritiers actuels, les adeptes de 1'"écologie" qui pensent que tout le monde devrait consommer moins, y compris les masses affamées du tiers monde.

Il n'est pas surprenant non plus que ceux qui dénoncent aujourd'hui les crimes de Pol Pot comme un exemple des crimes du "communisme" semblent oublier qu'il était soutenu par l'impérialisme US la plupart du temps et que ce sont les staliniens vietnamiens qui ont mis fin à sa tyrannie.

Le nazisme et l'ordre bourgeois

La "technique" de Courtois c'est de produire des "statistiques" absurdes pour prouver que les communistes ont tué plus de gens que les fascistes. Sa thèse c'est que "le système communiste comporte, quoique à des degrés divers, une dimension fondamentalement criminelle", comparable à, sinon pire que le nazisme: "Les faits sont pourtant têtus et montrent que les régimes communistes ont commis des crimes concernant environ cent millions de personnes, contre environ 25 millions de personnes au nazisme." Courtois parle de "logique génocidaire", de "crime de masse", "crime systématique", "crime contre l'humanité".

Ce qui est frappant, c'est combien les calomnies anticommunistes de Courtois ressemblent, tant pour la forme que pour le fond, à Mein Kampf, l'infâme ouvrage d'Hitler. Hitler y déclare que les Juifs, fondateurs et organisateurs du marxisme, ont montré leur véritable visage en Russie, où ils ont "tué (quelquefois avec de terribles tortures) ou fait mourir de faim avec une sauvagerie véritablement fanatique près de 30 millions de personnes". Selon Mein Kampf, les dirigeants de l'Union soviétique étaient "des criminels tâchés de sang [qui ont] tué et exterminé des millions d'intellectuels éminents, tellement était sauvage leur soif de sang [...] et exercé la tyrannie la plus cruelle de tous les temps" (cité dans Why Did the Heavens Not Darken? de Arno J. Mayer, 1988).

Le Livre noir est au service de l'objectif actuel de la bourgeoisie qui aimerait pouvoir réviser l'histoire et se dissocier des horreurs d'Hitler et de l'Holocauste. Mais les nazis n'étaient pas un phénomène isolé. Ils se proclamaient les défenseurs de 1' "Occident" contre la menace des "judéo-bolchéviks" à l'ordre mondial et ils étaient vus par beaucoup comme tels. Le fascisme hitlérien était l'expression la plus jusqu'au-boutiste et la plus idéologique de la lutte implacable de la bourgeoisie contre le communisme.

Courtois reprend ouvertement les thèses d'Ernst Nolte, idéologue de la droite pro-nazie allemande, qui insistait que les véritables inspirateurs de la barbarie nazie étaient les bolchéviks et que le degré et les "techniques de violence de masse" avaient été inaugurés par les communistes. Le rapport qu'il y a en fait entre le programme du communisme et le fascisme hitlérien c'est qu'ils sont exactement aux antipodes l'un de l'autre. Le communisme authentique veut la libération de l'humanité toute entière alors que le fascisme est le paroxysme du racisme de la société bourgeoise et de la barbarie capitaliste. La seule "responsabilité" du communisme vis-à-vis d'Hitler, c'est que l'anticommunisme était, avec l'antisémitisme, le pilier de l'idéologie hitlérienne. C'est parce qu'elle avait peur que le puissant mouvement ouvrier allemand suive l'exemple de la révolution d'Octobre que la bourgeoisie allemande a donné le pouvoir aux gangsters nazis.

La bourgeoisie française vient justement de conclure le procès contre son fidèle serviteur Maurice Papon. Haut dignitaire du régime de Pétain allié à Hitler pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a organisé en France la déportation de Juifs vers les camps de la mort nazis. En 1961, alors qu'il était préfet de police à Paris, plus de 300 Algériens qui manifestaient pacifiquement pour l'indépendance de l'Algérie à Paris ont été assassinés sous ses ordres. A la fin du procès, Papon a écopé de deux jours de prison effective. Manifestement, la cour a reconnu, à l'inverse de Courtois, que la question de savoir si quelqu'un est un "criminel de guerre" dépend de quelle classeil a servi.

Pour les auteurs du Livre noir, aucune situation historique concrète ne vaut une analyse avec un minimum de sérieux. Par exemple, dans le passage sur l'Afghanistan, Sylvain Boulouque consacre seulement deux lignes aux massacres commis par les égorgeurs moudjahidin soutenus par la CIA, qui, aujourd'hui au pouvoir, lapident les femmes qui osent sortir de chez elles sans un voile les couvrant de la tête aux pieds. Et en tout cas il fait porter le blâme de ces crimes à l'Union soviétique: "Les résistants afghans ont eux aussi perpétré des massacres. Si elles ne sont pas évoquées ici, les exactions de la résistance demeurent inacceptables et inexcusables. [...] Il n'en demeure pas moins que la responsabilité des événements qui sont advenus en Afghanistan incombent [sic] directement aux communistes et à leurs alliés soviétiques."

Le livre manque tellement de sérieux que les auteurs ne prennent même pas la peine de se mettre d'accord entre eux pour sortir une histoire cohérente. Nicolas Werth, l'un des auteurs du Livre noir, lorsqu'il veut montrer que le Parti bolchévique avait suffoqué le pouvoir des soviets immédiatement après la prise du pouvoir, pour prétendre que le stalinisme serait l'enfant légitime du léninisme, déclare: "En quelques semaines, ces institutions [comités d'usine, syndicats, partis socialistes, comités de quartier, Gardes rouges et, surtout, soviets] furent dessaisies de leur pouvoir, subordonnées au Parti bolchevique ou éliminées." Mais plus loin, le même Nicolas Werth, voulant montrer que les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks reflétaient l'existence d'une opposition à l'intérieur de la société, déclare le contraire et il en ressort un tout petit peu de la vérité:
"Le printemps 1918 était, en réalité, un moment clé où les jeux n'étaient pas encore faits; les soviets, qui n'avaient pas encore été muselés et transformés en simples organes de l'administration étatique, étaient le lieu de véritables débats politiques entre les bolcheviks et les socialistes modérés. Les journaux d'opposition, bien que quotidiennement poursuivis, continuaient d'exister. La vie politique locale connaissait un foisonnement d'institutions concurrentes."

Le Monde du 14 novembre 1997 a publié un article de l'historienne Lilly Marcou qui montre que Werth a multiplié par dix le nombre des victimes de la terreur stalinienne par rapport aux chiffres que le même Werth avait publiés quatre ans plus tôt. Pourquoi le Monde (ainsi que toute l'extrême gauche "critique" du Livre noir), prétend-il que la contribution au livre de ce charlatan est la plus sérieuse et la plus scientifique? Parce que c'est à Werth qu'incombe principalement la tâche de faire l'amalgame entre Lénine et Staline et de faire porter à Lénine la responsabilité des crimes de Staline, le fossoyeur de la révolution d'Octobre.

Parfois le livre devient carrément grotesque: les bolchéviks sont accusés d'avoir "délibérément acculé à la famine" l'Ukraine "provoquant la mort de cinq millions de personnes". L'exécution de la famille royale des Romanov par les bolchéviks après la prise du pouvoir est présentée comme un règlement de comptes personnel de Lénine dont le frère avait été tué par le régime tsariste après la tentative d'assassinat contre le tsar Alexandre III en 1887, et ainsi de suite.

Mais les mensonges, les absurdités historiques et les aspects grotesques du livre ne diminuent pas l'aspect fondamentalement sinistre du Livre noir. Dans l'introduction, Stéphane Courtois est préoccupé parce que les symboles de la révolution "- drapeau rouge, Internationale, poing levé - resurgissent lors de chaque mouvement social d'envergure" et que "des groupes ouvertement révolutionnaires sont actifs et s'expriment en toute légalité". Ceci, de même que l'appel répété à un tribunal de Nuremberg pour les crimes du communisme, repris en choeur par les fascistes du Front national, est un appel direct à la répression de l'Etat contre les organisations et les personnes qui se tournent vers le communisme.
La continuité des bolchéviks, c'est le trotskysme

Exactement comme leurs nombreux prédécesseurs de la guerre froide, les auteurs du Livre noir acceptent et répandent le mensonge bourgeois selon lequel le stalinisme est l'enfant légitime du léninisme. L'argument principal auquel ils ont recours, c'est que les Procès de Moscou des années 1930 et les goulags staliniens ont leurs racines dans la révolution d'Octobre elle-même, et, en particulier, dans la "terreur rouge" des bolchéviks pendant la guerre civile de 1918-1921.

En réalité, la prise du pouvoir par les soviets au début de novembre 1917 s'est produite pratiquement sans effusion de sang. La bourgeoisie russe était si impuissante, si compromise par la guerre et son résultat, si démoralisée par le régime de Kérensky, qu'elle n'avait pas osé opposer de résistance. Le pouvoir de Kérensky à Petrograd fut renversé pratiquement sans bataille. Il y eut un peu plus de résistance à Moscou. En province, en général un télégramme de Petrograd ou de Moscou suffisait pour transférer le pouvoir aux soviets. Il n'y eut presque pas d'arrestations. Les ministres de Kérensky furent libérés peu après la révolution. Au début, la révolution fit preuve du même genre de "générosité" que la Commune de Paris. Par exemple, le général cosaque Krasnov, qui avait marché sur Petrograd avec Kérensky immédiatement après la prise du pouvoir par les Soviets, fut emprisonné et libéré sur parole le lendemain. Une fois libéré il rejoignit immédiatement les rangs de la contre-révolution et, après avoir tué des milliers de communistes, marcha à nouveau sur Petrograd avec l'armée de Youdénitch.

Ce n'est que lentement et progressivement que la répression prolétarienne devint plus sévère, au fur et à mesure que s'intensifiait l'activité contre-révolutionnaire: après l'exécution en masse de communistes pendant le soulèvement des Tchécoslovaques sur la Volga organisé par les Cadets (démocrates constitutionnels bourgeois), les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks; après l'attentat contre Lénine, l'assassinat d'Ouritsky, etc. Les contre-révolutionnaires locaux recevaient constamment le soutien des impérialistes "démocratiques". L'ambassade de France organisa le soulèvement de Yaroslav, en 1918, qui fit de nombreuses victimes. L'"empire" de l'amiral Koltchak, poussé par la finance américaine, reçut le soutien de l'état-major tchécoslovaque avec l'aide du gouvernement français. Krasnov et Kalédine, à la tête de la contre-révolution sur le Don, étaient soutenus militairement et financièrement par l'Allemagne. En tout ce sont quatorze armées impérialistes, au côté des contre-révolutionnaires locaux, qui ont envahi le nouvel Etat ouvrier, dévasté le pays, massacré les Rouges et terrorisé les communautés juives.

Le fait même que le prolétariat révolutionnaire russe, sorti décimé de la Première Guerre mondiale et dans un pays économiquement dévasté, ait été capable de gagner la guerre civile est une preuve irréfutable de la profondeur du soutien à la cause révolutionnaire. Les ouvriers se sont battus héroïquement; ils étaient tellement prêts à se sacrifier que les couches du prolétariat les plus conscientes ont été pratiquement exterminées. Les paysans, devant le choix entre les Blancs qui leur reprenaient leurs terres et les Rouges qui ne faisaient que réquisitionner leur grain pour alimenter les villes, optèrent pour les Rouges. Si les bolchéviks n'avaient pas utilisé tous les moyens nécessaires pour assurer la victoire, cela aurait été un crime. Léon Trotsky, commandant de l'Armée rouge pendant la guerre civile, a admirablement expliqué cela:

"La classe ouvrière, qui s'est emparée du pouvoir en combattant, avait pour tâche et pour devoir de l'affermir inébranlablement, d'assurer définitivement sa domination, de couper toute envie de coup d'Etat chez ses ennemis et de se donner, par cela même, la possibilité de réaliser les grandes réformes socialistes. Ou alors il ne fallait pas prendre le pouvoir. [...] Mais la révolution exige en revanche de la classe révolutionnaire qu'elle mette tous les moyens en oeuvre pour atteindre ses fins; par l'insurrection armée, s'il le faut; par le terrorisme, si c'est nécessaire.
[...]
"L'histoire n'a trouvé jusqu'ici d'autres moyens de faire avancer l'humanité qu'en opposant toujours à la violence conservatrice des classes condamnées la violence révolutionnaire de la classe progressive."
-Terrorisme et communisme (1920)

L'Etat ouvrier qui a émergé de la Révolution bolchévique reposait sur l'internationalisme prolétarien et la démocratie soviétique, c'est-à-dire le pouvoir des conseils ouvriers dont les délégués étaient élus démocratiquement par les ouvriers. Mais les années de guerre civile et d'étranglement impérialiste dévastèrent l'économie et décimèrent le prolétariat, en particulier sa couche la plus consciente, ce qui permit que se développe une couche bureaucratique à l'intérieur du parti et dans l'appareil d'Etat. Il n'y avait pas que les dirigeants bolchéviques, les masses ouvrières aussi pensaient que l'extension de la révolution à d'autres pays était la clé de la survie pour la République des Soviets. Mais beaucoup de soulèvements prolétariens en Hongrie, en Allemagne, en Pologne, en Bulgarie, en Italie et ailleurs furent réprimés.

Sur la base de la démoralisation répandue, du fait de la défaite de la Révolution allemande de 1923, et alors que Lénine était sur son lit de mort, la bureaucratie dirigée par la "troïka" de Staline, Zinoviev et Kamenev, prit le contrôle lors de la Treizième Conférence du parti en janvier 1924 et fit une véritable contre-révolution politique. Après janvier 1924, les personnes qui dirigeaient l'URSS, la façon dont l'URSS était dirigée, et le but dans lequel elle l'était, avaient totalement changé (cf. "When Was the Soviet Thermidor?", Spartacist édition anglaise n°43-44, été 1989). Quelques mois plus tard, le programme de cette couche sociale conservatrice trouva son expression dans la doctrine antimarxiste du "socialisme dans un seul pays". Le dernier combat politique de Lénine, qu'il mena en bloc avec Trotsky, fut contre Staline et la bureaucratie naissante, en particulier contre ses manifestations de chauvinisme grand-russe et d'arrogance brutale.

Sur le terrain de l'internationalisme révolutionnaire du programme bolchévique, Trotsky et l'Opposition de gauche continuèrent donc la lutte pour le léninisme contre la bureaucratie stalinienne. Ce sont les trotskystes qui représentent la continuité du communisme et non ceux qui les ont assassinés, comme les idéologues de la "mort du communisme" voudraient nous le faire croire. Le but de la terreur stalinienne c'était de réprimer et d'intimider le prolétariat dont la bureaucratie avait usurpé le pouvoir politique; c'était aussi et surtout d'extirper et de détruire toute loyauté envers l'Opposition de gauche et son programme de révolution socialiste internationale. A la fin des purges, de tout le comité central qui avait fait la Révolution bolchévique, Staline était le seul qui restait! Le stalinisme ne représente pas le léninisme mais sa négation. Pour consolider son pouvoir et pouvoir prétendre qu'il était le "successeur de Lénine", Staline a dû assassiner tous les "vieux bolchéviks" et détruire l'avant-garde du prolétariat toute entière. Ce n'est pas un hasard si les Procès de Moscou n'ont guère posé de problèmes aux bourgeoisies impérialistes de l'époque. Comme Trotsky le faisait remarquer dans Leur morale et la nôtre (février 1938): "[La grande bourgeoisie] observa non sans satisfaction, quoique en affectant une certaine répugnance, l'extermination des révolutionnaires en U.R.S.S."

C'est l'Armée rouge qui a écrasé les nazis - malgré Staline

Le Livre noir, justification idéologique de la domination brutale du capital sur le travail dans le monde post-soviétique, va jusqu'à proférer que l'holocauste du XXe siècle c'était le communisme, pas le nazisme. Le titre lui-même cherche à reléguer dans l'oubli le Livre noir du nazisme qui décrivait l'horreur du nazisme sur le front russe.

Mais c'est l'Armée rouge qui a stoppé Hitler et sa terreur génocidaire, et libéré les camps de la mort nazis d'Auschwitz, Sachsenhausen, etc. La marche sur Berlin et la destruction du Troisième Reich par l'Union soviétique c'était la libération de l'Europe du fléau nazi. Le 8 mai 1945, c'est le jour de la victoire contre les nazis par l'Armée rouge. C'est cette vérité que le Livre noir cherche à faire disparaître.

Sur ces mensonges aussi Courtois n'est pas un débutant. Dans son livre le PCF dans la guerre (1980) il ne pouvait entièrement passer sous silence Stalingrad et Koursk, deux batailles gagnées par l'Armée rouge qui avaient scellé le sort de l'armée nazie. Il a donc pris soin de les relativiser en cherchant en même temps à faire passer pour décisives quelques escarmouches comme la bataille d'El Alamein en Egypte. Mais c'est le peuple soviétique qui a supporté le plus gros fardeau de la guerre, avec 27 millions de morts, et c'est l'Armée rouge qui a brisé l'échine du pouvoir nazi: 80 pour cent des pertes totales de l'armée allemande pendant la guerre ont été essuyées sur le front russe. Ce qui préoccupait principalement les impérialistes anglo-américains c'était de lutter pour leurs possessions coloniales en Afrique et surtout de mettre la main sur l'Asie, contre leurs rivaux japonais.

Quand les impérialistes "alliés" ouvrirent finalement le fameux "second front" avec le débarquement en Normandie en juin 1944, c'est parce qu'ils craignaient de plus en plus que toute l'Europe ne devienne communiste dans la foulée de la victoire de l'Armée rouge. Les trotskystes hollandais du CRM comprirent très clairement que le débarquement "allié" était dirigé contre l'expansion soviétique et contre le danger de révolutions prolétariennes en Europe de l'Ouest, et non contre les nazis (voir Cahiers Léon Trotsky n°43, septembre 1990). D'ailleurs c'est délibérément que les quartiers ouvriers de Dresde et de Hambourg furent rasés par les bombardements "alliés", tout comme de meurtriers bombardements "alliés" anéantirent une grève générale à Marseille fin mai 1944, à quelques jours du débarquement "allié". Jusqu'au dernier moment les nazis eux-mêmes entretinrent l'idée d'une paix séparée avec les impérialistes "démocratiques". Et dans la défaite, les criminels de guerre nazis n'avaient peur que de la vengeance de l'Armée rouge et se marchaient sur les pieds les uns des autres dans leur précipitation pour arriver jusqu'aux lignes américaines où ils trouvaient le salut.

Fondamentalement, ce qu'il y a derrière la politique des bourgeoisies soi-disant "démocratiques" depuis 1917, c'est la peur face à cette menace à l'ordre capitaliste mondial que représente la révolution d'Octobre, dirigée par ce qu'ils appellent les "judéo-bolchéviks". La guerre hitlérienne d'extermination n'était que l'expression la plus brutale des buts poursuivis par les capitalistes depuis 1917: noyer la lutte des classes dans un océan de chauvinisme et renverser les formes de propriété prolétariennes en URSS. Et en 1940, la bourgeoisie française (qui n'a jamais oublié que la défaite de la France dans la guerre avec la Prusse avait conduit à la Commune de Paris), s'est alliée aux nazis avec le régime de Pétain.

Quant aux bourgeoisies "démocratiques", confrontées à la victoire de l'Armée rouge en 1945 et à des situations prérévolutionnaires dans plusieurs pays, elles ont immédiatement amnistié les pires criminels de guerre nazis et établi la "filière du rat" - une voie d'échappement établie par les services secrets américains et le Vatican pour mettre immédiatement les criminels de guerre nazis au service de la guerre froide; cela allait de faire venir des scientifiques comme Werner von Braun aux Etats-Unis jusqu'à réinstaller Klaus Barbie en Amérique latine. Cela a permis à Gehlen, l'espion d'Hitler, et à son organisation, de continuer après la guerre, en Allemagne "dénazifiée", son travail contre l'Union soviétique et l'Etat ouvrier déformé est-allemand.
Le Français Touvier (tout comme Barbie et des centaines d'autres nazis), chef du " Deuxième Service" de la milice pétainiste de Lyon, en bénéficia aussi. Il conserva des "amis" au sein de la police (laquelle l'avait d'ailleurs complaisamment laissé s'échapper du siège de la DST en 1947), et fut contacté pour reprendre du service en Algérie en 1960, dans le cadre de la répression contre la lutte de libération nationale du peuple algérien.

Ce n'est pas étonnant que le Livre noir prenne le camp des antisémites et des nazis contre l'Armée rouge. Werth mentionne sans sourciller les mots d'ordre des chefs antibolchéviques ukrainiens comme Petlioura, Makhno, etc.: "des soviets librement élus "sans Moscovites ni Juifs"", "L'Ukraine aux Ukrainiens, sans bolcheviks ni Juifs", "Vive le pouvoir soviétique, à bas les bolcheviks et les y...", au nom desquels "ils organisèrent des dizaines de pogroms sanglants contre les communautés juives des bourgs et des petites villes des provinces de Kiev et de Tchernigov". Nous, trotskystes, sommes fièrement du côté des bolchéviks qui liquidèrent impitoyablement cette racaille antisémite!

Des années de lutte contre le nazisme et de sacrifices du peuple soviétique, auxquelles Nicolas Werth consacre 18 pages sur les 240 consacrées à l'URSS, il ne retient que les déportations des peuples par Staline. Le génocide de plus de deux millions de Juifs soviétiques par les nazis n'a droit qu'à une seule phrase, et c'est comme s'il s'était agi de représailles contre de soi-disant massacres de prisonniers du NKVD soviétique: "Prenant prétexte des "atrocités judéo-bolchéviques", les Sonderkommandos nazis s'empressèrent de massacrer immédiatement des dizaines de milliers de Juifs". Puis Werth compte parmi les victimes du "goulag" soviétique les membres de l'OUN et de l'UPA (des antisémites fascistes qui collaborèrent avec les nazis contre l'Armée rouge), les Frères de la Forêt estoniens et même Vlassov et son armée, passés du côté des nazis. Pour Werth, le comble de l'horreur est atteint au moment de la victoire contre les nazis, lorsque des milliers de criminels nazis sont enfin emprisonnés et exécutés par l'Armée rouge:
"Au total, jamais les "peuplements spéciaux", les camps et colonies du Goulag, les camps de contrôle et de filtration et les prisons soviétiques n'avaient compté autant de pensionnaires qu'en cette année de la victoire: près de cinq millions et demi de personnes, toutes catégories confondues. Un palmarès longtemps éclipsé par les festivités de la victoire et "l'effet Stalingrad". "

Il y avait beaucoup d'innocents après la guerre dans les goulags de Staline, mais Werth y assimile les assassins nazis pour pouvoir les absoudre. Ce qui dérange Werth et la bourgeoisie, c'est qu'il n'y a qu'en Union soviétique que les criminels de guerre nazis ont été traités comme ils le méritaient.
Durant le siège de Leningrad par les nazis, plus du tiers de la population de la ville a été anéanti dans les bombardements et la famine. Finalement les Soviétiques ont remporté la victoire, malgré Staline qui avait décapité l'Armée rouge dans les purges de 1937. Après avoir misé dans un premier temps sur des impérialistes "démocratiques" sanguinaires comme la France, Staline avait ensuite misé sur une alliance stratégique tout aussi imprincipielle avec Hitler, avec le pacte Hitler-Staline de 1939. Il avait tellement confiance dans cette alliance qu'il refusa de croire les renseignements que lui avaient fournis d'héroïques espions soviétiques comme Leopold Trepper et Richard Sorge, qui l'avaient mis en garde contre l'invasion imminente de l'URSS par Hitler.

Nous, trotskystes, considérons que des blocs militaires temporaires de l'Etat ouvrier avec une puissance impérialiste ou une autre peuvent être nécessaires dans certaines circonstances. Mais jamais au prix de l'abandon de ce qui est en fin de compte la seule façon de défendre l'Union soviétique: la lutte pour la révolution prolétarienne contre toutes les nations impérialistes. Comme l'écrivait Trotsky en 1939 dans Défense du marxisme:
"D'une façon générale, on peut dire que la politique extérieure du Kremlin est fondée sur l'embellissement frauduleux de l'impérialisme "ami"; et elle sacrifie ainsi les intérêts essentiels du mouvement ouvrier international au profit d'avantages secondaires et instables. Après avoir, pendant cinq ans, abruti les travailleurs avec le mot d'ordre de "Défense des démocraties" ,voici que Moscou se donne comme tâche d'enjoliver la politique de gangster de Hitler. Cela ne transforme pas encore l'U.R.S.S. en Etat impérialiste, mais Staline et son Internationale communiste sont maintenant sans aucun doute les précieux agents de l'impérialisme."

Les trotskystes étaient à leur poste pour la défense de l'URSS
Les trotskystes ont résolument maintenu jusqu'au bout la défense militaire inconditionnelle de l'URSS contre les attaques impérialistes et la contre-révolution intérieure, malgré la caste bureaucratique parasitaire stalinienne. En même temps, ils comprenaient que la seule façon de défendre l'URSS à long terme c'était de faire une révolution politique prolétarienne pour balayer les bureaucrates staliniens qui avaient usurpé le pouvoir et qui minaient les acquis de la révolution d'Octobre à chaque fois qu'ils le pouvaient avec leur régime de mensonges, leurs privilèges bureaucratiques, leur volonté de démobiliser le prolétariat soviétique, l'idéologie nationaliste qu'ils instillaient à la place de l'internationalisme dont étaient animés les bolchéviks. Les trotskystes demandaient la restauration du pouvoir soviétique (les conseils d'ouvriers et de soldats) et cherchaient à mobiliser les masses travailleuses soviétiques contre la bureaucratie sur la base de l'égalitarisme socialiste et de l'internationalisme révolutionnaire qui étaient les fondements de l'Etat ouvrier soviétique.
Cette politique est codifiée dans le Programme de transition (1938), le document fondateur de la Quatrième Internationale; c'est la pierre de touche de la politique de la Ligue communiste internationale (LCI) depuis nos débuts en tant que tendance dans les années 1960. Sur tous les champs de bataille importants de la "deuxième guerre froide", déclenchée par l'impérialisme américain pour essayer de redorer son blason après sa défaite humiliante au Vietnam, la LCI s'est résolument battue pour la défense militaire inconditionnelle de l'Union soviétique et des Etats ouvriers déformés, tout en menant une lutte implacable contre les capitulations du Kremlin devant l'impérialisme.
La guerre en Afghanistan, à partir de 1979, devint un des points chauds de la guerre froide. D'un côté il y avait l'armée soviétique et ses alliés nationalistes de gauche, qui avaient fait des réformes contre l'achat et la vente des femmes et contre le port du long voile qui empêche les femmes afghanes de jamais voir le soleil. De l'autre côté il y avait la CIA et les impérialistes qui soutenaient les égorgeurs moudjahidin qui agressaient les femmes dévoilées et assassinaient les enseignants pour le "crime" d'apprendre à lire et à écrire aux filles. Pour les impérialistes, la guerre en Afghanistan était la meilleure chance qu'ils avaient eue depuis des années de tuer des soldats et des officiers soviétiques à grande échelle et de soutenir un régime réactionnaire virulent aux frontières de l'URSS.
Nous avons choisi notre camp avec les mots d'ordre "Salut à l'Armée rouge!", "Etendez les acquis d'Octobre aux peuples afghans!". Les idéologues bourgeois et la "gauche" ont, au contraire, soutenu les terroristes intégristes islamistes, y compris les Talibans. Dans la partie du Livre noir sur l'Afghanistan, on retrouve tous les arguments véhiculés à l'époque par la gauche et 1'"extrême" gauche pour aligner le prolétariat derrière la campagne anti-soviétique. Il n'est donc pas étonnant que pas le moindre commentaire négatif n'ait été proféré par ces gens-là contre cette partie du Livre noir: ils étaient tous d'accord.
Lorsque Solidarnosc, le syndicat-maison polonais financé par le Vatican et la CIA, essaya de prendre le pouvoir fin 1981, nous avons dit "Halte à la contre-révolution de Solidarnosc!". Huit ans plus tard, les staliniens dirigés par le bureaucrate Jaruzelski, confiaient le pouvoir à Walesa et Cie. Dans le monde entier la soi-disant "gauche" s'est essentiellement rangée derrière Wall Street et la social-démocratie internationale pour soutenir la cause de Solidarnosc, c'est pourquoi elle n'a rien à redire aujourd'hui à la section du Livre noir sur la Pologne.
Lors de la chute du mur de Berlin, la LCI a combattu le bradage de l'Allemagne de l'Est, manigancé par les dirigeants staliniens du SED (Parti d'unité socialiste). Il y a pratiquement eu un vide de pouvoir après l'effondrement du régime stalinien et nous avons jeté nos forces dans la lutte pour une Allemagne rouge des conseils ouvriers. Lorsque des fascistes ont profané un monument à la gloire des soldats soviétiques à Treptower Park, nous avons initié une manifestation antifasciste de front unique à laquelle les staliniens se trouvèrent obligés de se joindre et qui attira, le 3 janvier 1990, 250 000 personnes venues honorer la mémoire des soldats soviétiques morts pour libérer l'Allemagne des nazis. Les staliniens de la RDA interprétèrent à juste raison ces sentiments antifascistes qui s'exprimaient aussi massivement, comme l'expression de la volonté de résister à l'annexion (Anschluss) à l'impérialisme ouest-allemand. Nous appelions à construire un nouveau parti communiste, égalitaire, et à former immédiatement des conseils d'ouvriers et de soldats, montrant quels étaient les seuls choix qui se présentaient à la RDA: révolution politique prolétarienne ou contre-révolution capitaliste. C'est pour cette dernière que la bureaucratie stalinienne en faillite a opté.
Nous avons aussi essayé de résister à la contre-révolution capitaliste dans la patrie d'Octobre elle-même. En août 1991, nous avons appelé les ouvriers soviétiques à "écraser la contre-révolution d'Eltsine-Bush" soulignant que le prolétariat de Moscou aurait dû écraser les barricades contre-révolutionnaires d'Eltsine; nous avons distribué plusieurs dizaines de milliers de tracts dans toute l'Union soviétique. Aujourd'hui nous nous battons pour construire un parti trotskyste pour diriger le prolétariat chinois dans une lutte révolutionnaire contre les staliniens déterminés à pousser jusqu'au bout la Chine sur la "voie capitaliste".

Le stalinisme, le front populaire et la Deuxième Guerre mondiale

Courtois aime se présenter comme un repenti du communisme mais ce n'est pas un nouveau venu dans le business de la propagande anticommuniste. Il a été formé par Annie Kriegel, ex-stalinienne devenue par la suite la spécialiste sur le PCF et l'URSS pour le Figaro, le quotidien de la droite anticommuniste. Kriegel a gagné ses galons dans la période qui a suivi Mai 68, une situation pré-révolutionnaire sabotée par la trahison du PCF.
Une partie clairvoyante de la bourgeoisie, avec Mitterrand pour porte-parole, tira les leçons de Mai 68 et initia l'Union de la gauche. C'était un front populaire, une alliance de collaboration de classes des partis ouvriers réformistes de masse avec des éléments bourgeois dont la présence dans la coalition joue le rôle de garantie (et d'excuse toute prête) que ces partis ne feront rien qui remette en question la domination de classe capitaliste. La collaboration de classes, pratiquée de longue date par la social-démocratie, dont le rêve est de gouverner loyalement les Etats bourgeois, est devenue la politique acceptée des "communistes" sous Staline, en particulier quand le Comintern inaugura le "front populaire" en 1935. L'Union de la gauche, mise sur pied en France en 1972, mena à la victoire du front populaire de François Mitterrand, secrétaire du Parti socialiste et longtemps politicien bourgeois, qui avait été un temps étroitement lié au régime de Vichy allié des nazis.
Face à ce mouvement vers la "gauche", Annie Kriegel se distingua alors par ses diatribes farouchement anticommunistes, reprenant les thèses du "péril rouge" et du "PCF, agent de Moscou". Dans son livre Communismes au miroir français, écrit en 1973, soit un an après la formation de l'Union de la gauche, elle argumentait comment ce que le PCF faisait en 1944 "ne pouvait avoir de sens que dans une perspective de conquête directe du pouvoir par une stratégie du type de celle qui avait assuré la victoire de la révolution d'Octobre". C'est sur cette base que Stéphane Courtois allait écrire son premier livre en 1980, le PCF dans la guerre; il y disait que le pacte Hitler-Staline "a marqué la naissance d'un impérialisme soviétique qui a la particularité d'assimiler l'expansion impérialiste opérée par la force, à l'expansion du mouvement révolutionnaire mondial".
Courtois ici s'inscrit dans la tradition d'idéologues de la guerre froide comme Leonard Schapiro, Hannah Arendt et George Orwell qui prétendaient que le "totalitarisme" soviétique était une force déterminée à dominer le monde. Il n'y a pas si longtemps, les anticommunistes de ce genre insistaient fortement que l'engouement de Gorbatchev pour les "réformes de marché" capitalistes n'étaient qu'une ruse mensongère destinée à endormir les partisans de la "démocratie" pendant que le Kremlin concoctait des machinations diaboliques pour détruire l'Occident.
Le PCF dans la guerre consacre près de 600 pages à essayer d'apporter la "preuve" de ce fantasme anticommuniste délirant avec force citations et exégèses de déclarations du PCF de l'époque. Courtois ne parvient toutefois qu'à accumuler la preuve du répugnant chauvinisme bourgeois antiallemand du PCF, citant sans sourciller des dizaines de déclarations du PCF contre les "Boches". Mais cela n'empêchait pas Courtois de soupçonner le PCF, soi-disant agent de Moscou, de n'être pas suffisamment sincère dans son chauvinisme.
La vérité, c'est que le PCF avait choisi depuis bien longtemps son camp: celui de sa propre bourgeoisie. Plus de quinze ans auparavant, Léon Trotsky avait expliqué dans son oeuvre séminale l'Internationale communiste après Lénine (1928) comment la théorie stalinienne nationaliste du "socialisme dans un seul pays" allait mener les différents partis de l'Internationale communiste, fondée par Lénine et Trotsky en 1919 pour diriger la révolution mondiale, à choisir le camp de leur propre bourgeoisie:
" se préparer à construire le socialisme dans un seul pays est un procédé social-patriotique. [...] C'est un coup mortel pour l'Internationale. [...] Le parti communiste de n'importe quel Etat capitaliste, convaincu que son pays possède tous les fondements "nécessaires et suffisants" pour construire seul "la société socialiste intégrale", ne se distinguera plus, au fond, de la social-démocratie révolutionnaire, qui, elle non plus, n'a pas commencé avec Noske, mais qui a définitivement sombré sur cet écueil le 4 août 1914."
Avec le pacte Laval-Staline en 1935, le PCF allait définitivement choisir la défense de l'ordre bourgeois en France et mettre en pratique son "Front populaire". En d'autres termes, le PCF, qui était issu de la scission pro-bolchévique de la social-démocratie en 1920 au Congrès de Tours, était quinze ans plus tard retourné définitivement dans le camp de la social-démocratie. Nous avons sur cette question une divergence fondamentale avec des groupes réformistes à la remorque du PCF comme Lutte ouvrière et Voix des Travailleurs, qui se lamentent sur une possible liquidation du Congrès de Tours, comme si celle-ci n'était pas loin derrière nous; ainsi, Voix des Travailleurs (n°18, 20 novembre 1997) affirmait que les déclarations récentes du PCF à propos du Livre noir n'étaient qu'"un pas de plus dans sa transformation en parti social-démocrate. [...] Jusqu'à présent [...] il n'avait pas encore fait le choix de se dégager entièrement de ses liens avec la classe ouvrière, et de devenir un vrai parti gouvernemental".
C'est sur la base de cette alliance front-populiste que le PCF allait trahir la situation pré-révolutionnaire de 1936 en France, freinant et stoppant une puissante grève générale qui aurait posé la question du pouvoir pour la classe ouvrière; tandis qu'en Espagne, les staliniens étaient, selon les termes de Trotsky, 1'"avant-garde combattante de la contre-révolution bourgeoise-républicaine" (dans "Classe, parti et direction", août 1940). Toute la politique du PCF pendant la guerre allait être la poursuite de cette subordination à sa propre bourgeoisie.
La "Résistance" est largement un mythe bourgeois, bâti grâce au PCF, pour éradiquer cette vérité que la bourgeoisie française avait collaboré presque sans exception avec les nazis. En fait, la bourgeoisie française mit en place de sa propre volonté, dès 1940-1941, sa propre politique antisémite, qu'elle essaya d'étendre à la zone directement administrée par les forces d'occupation allemandes, afin de mettre la main elle-même sur les biens des Juifs qu'elle expropriait et envoyait dans les camps de la mort. Sans l'appareil d'Etat français, celui-là même qui avait envoyé le capitaine Dreyfus à l'île du Diable, il y a des dizaines de milliers de Juifs sur lesquels les nazis n'auraient pas pu mettre la main; d'ailleurs c'est Vichy qui demanda aux nazis de prendre aussi les enfants dans les convois de la mort, et pas l'inverse.
Et après la guerre, des criminels vichystes comme Maurice Papon, loin d'être sanctionnés, reçurent des promotions et l'ensemble de l'appareil d'Etat français de Vichy fut remis en service. François Mitterrand, décoré de l'ordre de la francisque par Pétain, fut lui aussi vichyste. Comme nous l'écrivions dans le Bolchévik (n° 128, mai-juin 1994, "Touvier: un procès pour absoudre les crimes de Vichy"):
"Que ce soit comme haut fonctionnaire pétainiste qui, en 1942, défendait la "Révolution nationale"; comme fondateur et chef d'un réseau de Résistance qui, de 1943 à 1944 luttait pour bouter le "Boche" hors de France; comme ministre de l'Intérieur qui en 1954 proclamait: "L'Algérie, c'est la France" et dirigeait la répression contre les combattants du FLN; ou comme président "de gauche" élu, en 1981 , avec le soutien des réformistes du PCF et de l'"extrême gauche" anti-soviétique: d'un bout à l'autre l'anticommuniste Mitterrand a défendu le pouvoir et les profits de sa classe: la bourgeoisie."
C'est un peu une ironie que le PCF, qui a, lui, vraiment pris part à la Résistance pour laquelle ses militants ont souvent payé de leur vie, entretienne le mythe de la bourgeoisie française antinazie. Mais la collaboration de classes, qui a besoin d'une bourgeoisie "progressiste", "antifasciste" et "anti-impérialiste" imaginaire, était la pierre de touche de la politique du PCF, tant pendant la guerre qu'en temps de "paix". La Résistance, dirigée par les staliniens et subordonnée à l'impérialisme anglo-américain, s'est battue pour défendre la "France" avec une mentalité de chauvinisme antiallemand effréné qui ne faisait pas de différence entre les ouvriers allemands incorporés dans la Wehrmacht et les tueurs SS.
Quant aux trotskystes, au contraire, malgré leur petit nombre et d'autres handicaps, ils se sont opposés au fascisme du point de vue des intérêts des ouvriers de tous les pays, cherchant activement la fraternisation avec les soldats allemands pour les gagner à une perspective de révolution socialiste en France et en Allemagne, et de défense de l'URSS. Dans le travail de la Quatrième Internationale pendant la Deuxième Guerre mondiale, le trotskyste juif Abraham Léon, auteur de la Conception matérialiste de la question juive, un ouvrage classique du marxisme, joua un rôle important. Il fut assassiné à Auschwitz en 1944, à l'âge de 26 ans.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale vit s'ouvrir une situation pré-révolutionnaire en Italie et, dans une moindre mesure, en France et dans d'autres pays. Les bourgeoisies étaient discréditées et haïes pour leurs crimes. Ce sont les staliniens qui allaient utiliser leur immense autorité sur le prolétariat, basée sur celle de l'Union soviétique, pour restabiliser cette nouvelle situation au profit de la bourgeoisie. Le PC italien organisa une "fête de la victoire" où ils forcèrent les partisans à rendre leurs armes. Le PCF parvint à empêcher le prolétariat de renverser la bourgeoisie française en 1944 (voir notre article "Les fruits amers de la cohabitation de 1944-1947", le Bolchévik n°61, mars 1986). Même Courtois reconnaît dans son livre de 1980 (en petits caractères, dans une note en bas de page): "En militants disciplinés, ces communistes ont rendu leurs armes quand le Parti, par la voix de Maurice Thorez, le leur a demandé". Avec des "communistes" du PCF comme ministres, la bourgeoisie française allait massacrer des milliers d'Algériens à Sétif le 8 mai 1945.
Et Jospin aussi sait parfaitement que le PCF était du côté de l'ordre bourgeois et non de la révolution, lui qui, faisant écho à Robert Hue et sous les applaudissements du PCF, prit la défense du PCF au Parlement à propos du Livre noir en novembre 1997:
"Pour moi, le PCF s'inscrit dans le cartel des gauches, dans le Front populaire, dans les combats de la Résistance et la Libération, dans la participation au gouvernement de la gauche. [...] Le PCF n'a jamais levé les mains sur les libertés en France."
-l'Humanité, 13 novembre 1997

La "mort du communisme" et l'obscurantisme antiscientifique

Le Livre noir se situe fermement sur le terrain réactionnaire des "nouveaux philosophes" français qui non seulement s'en prennent au communisme mais à ses précurseurs des Lumières et de la Révolution de 1789. Parlant des prédécesseurs de Courtois, comme François Furet, nous expliquions dans un article du Bolchévik:
"Après la Révolution de 1848, la bourgeoisie européenne - centralement la bourgeoisie allemande - est devenue contre-révolutionnaire. [...] Ainsi, l'héritage démocratique radical de la Révolution française a été repris presque exclusivement dans cette période par le mouvement ouvrier international. [...] [Après 1917] l'hystérie antibolchévique a réveillé toute la vieille hostilité de la réaction européenne envers la Révolution française, qui est considérée comme le péché originel donnant naissance à cet événement terrible."
-"En défense de la Révolution française", le Bolchévik n°100, mars 1990
Courtois apporte une nouvelle dimension aux invectives contre la pensée sociale progressiste des siècles passés en rendant responsable des "crimes du communisme" l'égalitarisme en général. Dans sa rage, il n'épargne pas des personnages comme Thomas More, inquisiteur au compte de l'Eglise catholique, ou Platon, ardent défenseur d'une version idéalisée de société esclavagiste. Manifestement, aux yeux de Courtois, quiconque osant comparer défavorablement l'ordre bourgeois existant à une conception différente de l'ordre social ou quiconque ayant écrit sur 1'"utopie" est un dangereux subversif.
Dans la conclusion du livre, Stéphane Courtois lance une attaque générale contre l'analyse marxiste de l'histoire:
"Ces présupposés scientistes appliqués à l'histoire et à la société - le prolétariat porteur du sens de l'Histoire, etc. - relèvent bien d'une fantasmagorie millénariste et planétaire et sont omniprésents dans l'expérience communiste. Ce sont eux qui fixent une idéologie criminogène."
L'attaque généralisée contre l'application de la science à l'histoire et contre le concept même du progrès conduit nécessairement à exalter l'obscurantisme religieux. Le Livre noir pose le problème d'établir un critère pour "dire le Bien et le Mal" et pour le résoudre il cite Pie XI, le chef de la hiérarchie catholique qui donna son soutien silencieux à 1' Holocauste nazi.
A l'origine, c'est François Furet qui devait écrire l'introduction au Livre noir. Il venait de publier un pamphlet de 809 pages intitulé le Passé d'une illusion, qui n'est qu'une digression ignare contre le communisme, cherchant constamment à le comparer au fascisme. Il se prétend historien, mais dans ce tome épais il n'arrête pas de se lamenter qu'il ne comprend rien à l'éclatement de la Première Guerre mondiale, sa seule "contribution" étant d'écarter l'explication scientifique (marxiste) que cette guerre était le produit inévitable des rivalités interimpérialistes croissantes pour le repartage du monde. Furet dit au contraire:
"Plus un événement est lourd de conséquences, moins il est possible de le penser à partir de ses causes. La guerre de 14 n'échappe pas à la règle. Personne n'a réussi à montrer vraiment qu'elle était inscrite comme une fatalité dans les rivalités économiques des grandes puissances. [...] La Seconde Guerre mondiale n'est pas, comme la Première, le produit finalement improbable, en tout cas imprévu, de rivalités internationales qui eussent pu être gérées avec davantage de sagesse."
-le Passé d'une illusion
Furet n'est pas un inconnu: c'était l'idéologue en chef de la France de Mitterrand pour les célébrations du bicentenaire de la Révolution française de 1789. A l'époque nous avions déjà averti le mouvement ouvrier contre ce personnage (voir le Bolchévik n°97, novembre-décembre 1989 et n°100, mars 1990), qui maudissait le fait que la révolution ait dévié de son cours respectable avec l'exécution de Louis XVI et la Terreur jacobine qui avait écrasé la contre-révolution féodale monarchiste. Furet voit dans cet épisode révolutionnaire grandiose la source de tous les maux et de toutes les révolutions ultérieures. Et il a raison en cela, il sait que c'est un exemple d'insurrection des opprimés et des exploités pour une société juste et égalitaire, la revanche des déshérités contre les nantis. Furet est le symbole de la décadence du capitalisme, qui se met aujourd'hui à dénoncer farouchement ses propres origines.
Dans le 'Passé d'une illusion, Furet ne règle pas seulement ses comptes avec le bolchévisme, mais aussi avec le jacobinisme. Selon lui, aussi longtemps que la terreur révolutionnaire jacobine n'est pas dénoncée et éradiquée de la conscience collective, il peut subsister une inclination pour la révolution, et tout particulièrement la bourgeoisie française ne pourra pas dormir tranquille. Et c'est aussi une idée centrale du Livre noir: "Aujourd'hui encore, le travail de deuil de l'idée de révolution, telle qu'elle fut envisagée aux XIXe et XXe siècles, est loin d'être achevé."

Le Livre noir: le passeport de la gauche pour la "mort du communisme"

Les fascistes italiens de l'Alliance nationale ont carrément organisé une tournée romaine pour Stéphane Courtois, afin de faire de la publicité pour le Livre noir qui a été traduit par la maison d'édition de Berlusconi. De même, Courtois s'est fait complaisamment interviewer dans la revue Enquête sur l'histoire, ("créée par des proches de l'extrême droite", comme le dit pudiquement le Monde du 31 mars). Le 19 mars, les fascistes faisaient une descente sur la fac de Nice avec des tracts en faveur du livre de Courtois.
Tout le débat orchestré autour du Livre noir a démontré à quel point la gauche française a adhéré à la "mort du communisme", avec en tête, évidemment, le PCF et ceux qui sont à sa traîne. De nombreuses organisations se réclamant encore vaguement du marxisme ou de la classe ouvrière ont écrit des articles pleins de lamentations sur la publication du Livre noir. En fait, s'ils contestent quelques détails particulièrement grotesques du livre, c'est pour mieux en épouser les thèses fondamentales. Surtout après la contre-révolution en URSS, soutenue par tous ces groupes, c'est pour eux l'occasion de mettre en conformité leurs paroles avec leur rôle dans la campagne antisoviétique impérialiste des années 1980 qui a culminé dans le soutien à la contre-révolution d'Eltsine.
La LCR pabliste d'Alain Krivine et Daniel Bensaïd est l'organisation qui a porté le plus grand soin à "répondre" au Livre noir. Et ce qu'ils disent n'est qu'une variation sur les thèmes de Robert Hue. Dans sa "réponse", Bensaïd mentionne Trotsky seulement en passant et fait de lui un social-démocrate se préoccupant seulement de défendre les valeurs de la "démocratie" contre Staline. Dans un passage, il cite la caractérisation de Hitler et Staline comme des "étoiles jumelles", sans mentionner que Trotsky fit ce commentaire pendant une bataille acharnée à l'intérieur du SWP américain à propos de la défense militaire inconditionnelle de l'Union soviétique, bataille lors de laquelle Cannon et Trotsky se sont battus contre une minorité petite-bourgeoise, dont ils se sont finalement séparés, qui refusait de défendre l'URSS et capitulait aux pressions de l'impérialisme américain à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans un style parfaitement social-démocrate, Bensaïd se plaint du ton de "guerre froide" utilisé par Stéphane Courtois, qu'il considère comme "anachronique" (pour lui, évidemment, l'expérience d'Octobre est réellement morte et enterrée!) et, suivant les traces de Kautsky, il pose le problème de savoir si les bolchéviks n'auraient pas dû renoncer au pouvoir, en se pliant aux règles de la "démocratie" bourgeoise:
"On peut discuter rétrospectivement des conséquences de la dissolution de l'Assemblée constituante par les bolcheviques, de la représentativité respective de cette Assemblée et du Congrès des soviets à la fin de 1917, de savoir s'il n'eût pas été préférable de maintenir durablement une double forme de représentation (sorte de dualité prolongée de pouvoir). On peut également se demander s'il n'eût pas fallu organiser dès la fin de la guerre civile des élections libres, au risque dans un contexte de destruction et de pression internationale de voir les Blancs militairement vaincus prendre le dessus."
-Communisme contre stalinisme : Une réponse au Livre noir du communisme
Autrement dit, pour Bensaïd et Cie, les bolchéviks auraient "peut-être" dû liquider le premier Etat ouvrier au monde, rendre le pouvoir sur un plateau d'argent à la bourgeoisie réactionnaire et soumettre les ouvriers et les paysans sans défense à sa terrible vengeance, afin d'épargner à la LCR la situation embarrassante d'être liée d'une manière ou d'une autre à la défense du pouvoir bolchévique!
Avec le renforcement de la bureaucratie stalinienne et la transformation de l'Europe de l'Est en Etats ouvriers déformés après la Deuxième Guerre mondiale, Michel Pablo, le prédécesseur politique du défunt Ernest Mandel, d'Alain Krivine, de Daniel Bensaïd, etc., avait liquidé la raison d'être même des partis trotskystes. Prévoyant des "siècles d'Etats ouvriers déformés", les pablistes étaient entrés dans les PC, argumentant que les staliniens suivraient un cours approximativement révolutionnaire. Maintenant, au milieu du triomphalisme bourgeois de la période post-soviétique, les pablistes, impressionnistes invétérés, prévoient des "millénaires" de domination capitaliste stable et veulent par conséquent renoncer même à l'appellation "communiste" et "révolutionnaire" de leur organisation en France, pour mieux se liquider dans la collaboration de classes, à la traîne de Jospin. Krivine a cherché à être sur les listes de la "gauche plurielle" de Jospin-Gayssot, et Bensaïd est devenu l'un des "philosophes" chéris de l'Humanité, en charge y compris de donner le "la" sur le quatre-vingtième anniversaire de la révolution d'Octobre.
Quant au groupe Lutte ouvrière (LO), il a fait un grand meeting le 7 novembre 1997, où Arlette Laguiller a critiqué à juste titre, les auteurs du Livre noir pour chercher "à démontrer que la faillite de l'Union soviétique, ce serait la faillite du communisme lui-même". Ceci dit, nulle part Lutte ouvrière ne défend la "terreur rouge" contre les contre-révolutionnaires blancs et laisse ainsi le champ libre à Courtois dans son attaque contre Lénine et Trotsky. Lutte ouvrière ne mentionne pas non plus la lutte de Trotsky et son Opposition de gauche contre la trahison stalinienne de la révolution d'Octobre. Ce n'est peut-être pas étonnant pour une organisation qui avait déserté la Quatrième Internationale du vivant de Trotsky et qui a également pris part au chorus de la guerre froide contre l'URSS dans les années 1980, allant jusqu'à dire que l'Afghanistan, c'était le Vietnam des Russes.
Le groupe Pouvoir ouvrier (PO), affilié à l'organisation britannique Workers Power (WP), s'est fendu d'un petit éditorial sur le Livre noir (Pouvoir ouvrier n° 46, mars 1998) où il ne prétend même pas être en désaccord avec quoi que ce soit du Livre noir. Tout ce qu'il trouve à dire face aux mensonges grossiers de Courtois, Werth et Cie sur l'URSS après 1920, c'est que ce sont les trotskystes qui ont été les premiers à dénoncer les crimes de Staline. PO veut mettre en concurrence les "trotskystes" avec des anticommunistes chevronnés pour savoir lesquels sont les plus antisoviétiques! Les tentatives de PO rappellent celles des intellectuels sociaux-démocrates avant eux pour transformer Trotsky en démocrate bourgeois, faisant ainsi passer son combat pour chasser Staline et son programme nationaliste antirévolutionnaire pour de l'opposition au pouvoir soviétique.
Si PO ne dit pas grand chose sur le Livre noir c'est à cause de ses origines dans le soi-disant "troisième camp"(c'est-à-dire l'aile cliffiste de la social-démocratie pro-impérialiste). En même temps PO/WP a récemment révisé son analyse "théorique" de l'URSS (cf. "Troisième Conférence internationale de la LCI" dans ce numéro). Sa nouvelle théorie est plus conforme au véritable programme de PO/WP, le programme antisoviétique qu'il a mis en pratique pendant toute la "deuxième guerre froide": du soutien à Solidarnosc en 1981, en passant par les nationalistes lituaniens en 1991 et jusqu'à leur soutien aux monarchistes et aux yuppies sur les barricades contre-révolutionnaires d'Eltsine en août 1991, auxquelles ils sont fiers d'avoir participé.
Dans leur brochure de mars 1996 sur 1917, ils avaient claironné que "la chute du stalinisme, malgré les victoires pour les forces réactionnaires qui s'ensuivent à court terme, ne fait que libérer un potentiel révolutionnaire énorme dans les masses opprimées et exploitées de toute la planète". Aujourd'hui, dans leur éditorial sur le Livre noir, ils déclarent:
"C'est qu'aujourd'hui les effets de la victoire contre-révolutionnaire de la bourgeoisie dans l'Europe de l'Est s'effacent dans les consciences pour laisser la place à l'écoeurement et ensuite à la révolte contre l'oppression et la misère qui sévissent partout. Depuis quelques années, la classe ouvrière a retrouvé les chemins de la lutte: mouvement de 1995, sans-papiers, mouvement de chômeurs, les exemples de cette nouvelle combativité ne manquent pas."
PO n'est certainement pas le seul dans la gauche à prétendre que le Livre noir est la contre-attaque idéologique de la bourgeoisie à la dernière vague de luttes des ouvriers et des opprimés, en fermant les yeux sur le fait que ces luttes admirables et inévitables sont aujourd'hui des actions défensives face aux attaques de la bourgeoisie contres les masses. (Il est vrai, bien sûr, que le fait que la bourgeoisie veuille encore enfoncer des clous dans le soi-disant cercueil du communisme montre comment elle a toujours peur de la révolution.) Mais ce n'est pas des "luttes elles-mêmes" que va surgir la conscience communiste nécessaire à la révolution socialiste, c'est par l'intervention du parti trotskyste introduisant cette conscience et enracinant le programme révolutionnaire dans le prolétariat.
L'optimisme professé par PO sur le monde postsoviétique est en réalité le reflet de leur adhésion à "l'aile gauche de la politique du possible": tout comme leurs cousins des organisations réformistes plus importantes, les centristes français pensent tous que le fait qu'un gouvernement "de gauche" soit au pouvoir constitue une sorte de victoire pour les ouvriers. En fait, le gouvernement "de gauche" de Jospin-Gayssot est parvenu en quelques mois à en faire plus que tout ce dont rêvait Juppé: alors que ce dernier avait dû reculer face à la vague de grèves de décembre 1995, et ne s'en était jamais remis, le nouveau gouvernement a brisé la grève des routiers grâce à l'action du ministre PCF des transports Gayssot, est venu à bout du mouvement des chômeurs sans la moindre concession et a endossé les critères d'austérité de l'Europe de Maastricht pour rendre plus compétitif le capitalisme français face à ses rivaux impérialistes. Ce gouvernement capitaliste organise maintenant la déportation de plus de 100 000 travailleurs sans papiers. Pour la énième fois, l'expérience montre que la politique réformiste n'est pas un pas vers la révolution, mais un obstacle à la mobilisation de la classe ouvrière.
Quant aux anarchistes, ils ont invité deux des auteurs du Livre noir, Sylvain Boulouque et Jean-Louis Panné, à venir déverser leur venin anticommuniste sur Radio Libertaire.
Les anarchistes ont revendiqué auprès de ces deux individus d'avoir été les premiers anticommunistes, y compris avant la Révolution russe, et ont affirmé que le Livre noir ne faisait que confirmer leurs propres diatribes antibolchéviques. Pas étonnant: les héros antibolchéviques de Werth et Courtois pendant la guerre civile (les mutins de Cronstadt, Makhno et ses bandes infestées d'antisémites) sont précisément ceux des anarchistes. Panné et Boulouque profitèrent de l'aubaine sur Radio Libertaire pour expliquer que le péril rouge existe toujours en Chine, en Corée du Nord et Cuba, alimentant ainsi la croisade contre-révolutionnaire là-bas.
L'anarchisme peut attirer certains jeunes révoltés qui y voient une façon de se rebeller contre les pratiques réformistes lamentables des soi-disant "socialistes", mais les idéologues anarchistes d'aujourd'hui sont les héritiers d'une sélection très particulière: quand le choix entre révolution et contre-révolution s'est posé dans la vie réelle, des anarchistes subjectivement révolutionnaires, comme Victor Serge, sont passés en masse du côté des bolchéviks. Des courants comme Radio Libertaire et la CNT anarcho-syndicaliste rejettent cet exemple en se réclamant des anarchistes russes qui ont continué à s'opposer violemment aux bolchéviks en alliance avec les forces les plus sinistres (voir notre série d'articles "Marxisme contre anarchisme", le Bolchévik n°137-143, en particulier la VIIe partie, "L'Octobre rouge et la création de l'Internationale communiste", le Bolchévik n°143, été 1997).

Construisons le parti léniniste!

En arrivant au XXIe siècle, la bourgeoisie impérialiste et ses apologistes sont déterminés à propager les pires mensonges anticommunistes dans l'espoir de mettre finalement fin au spectre de nouveaux Octobre. Ils consolident encore plus leur alliance avec des forces réactionnaires et obscurantistes telles que l'Eglise catholique et accompagnent ceci d'une attaque généralisée contre la science en faveur de la religion. Tout ceci sert à enrégimenter la population et à faciliter les attaques actuelles contre les acquis sociaux limités gagnés par les ouvriers et les minorités après la Deuxième Guerre mondiale.
Les partis réformistes de la classe ouvrière, par-dessus tout quand ils sont appelés à administrer les affaires de la bourgeoisie à partir de postes gouvernementaux, participent directement à cette campagne réactionnaire. Ces partis perpétuent l'existence du capitalisme dans un contexte où les puissances impérialistes se battent pour se repartager le monde en sphères d'influence, ce qui ne peut que mener à la destruction nucléaire de la société. Pour s'y préparer, ils soutiennent, ainsi que leurs suivistes d'"extrême gauche", les ambitions et les aventures militaires de leur propre bourgeoisie. Par exemple, en fournissant une couverture "humanitaire" aux interventions de la France dans les Balkans et au Rwanda. En même temps, une nouvelle génération de jeunes, qui ne sont pas brûlés par le bagage du stalinisme, commence à lutter contre les horreurs et les injustices racistes du capitalisme impérialiste. Pour lutter pour un avenir décent, ils doivent apprendre les leçons du passé, et notamment de la plus grande victoire jamais obtenue dans l'intérêt de la classe ouvrière et du progrès humain: la Révolution bolchévique. La leçon clé, c'est la nécessité de construire des partis léninistes-trotskystes d'avant-garde, sections d'une Quatrième Internationale reforgée. C'est pour cela que lutte la Ligue communiste internationale.